Lettre à mon amie : l’éloge de la lenteur
Je t’en ai parlé il y a longtemps, tu l’as peut-être même oublié. Je te disais que j’avais fini la lecture d’un livre qui m’avait donné une idée. Le livre, c’était Où es-tu monde adorable, l’idée, entamer une correspondance avec une amie. Celles qui me connaissent savent que j’ai deux vitesses : très vite ou très lent. En fait, je suis très rapide lorsque vient le temps de trouver des idées, de théoriser, de refaire les choses… Le côté exécution me vient moins rapidement, disons.
Ma mère m’a dit que quand je suis née, elle a eu des contractions pendant 12 heures. Elle a eu le temps d’aller à l’hôpital, revenir à la maison préparer ses choses, retourner à l’hôpital. Quand le travail a finalement commencé, l’infirmière est allée chercher l’obstétricien. Il n’a pas eu le temps d’arriver que j’étais déjà là. Je trouve que ça me résume plutôt bien : je prends du temps à décoller, mais quand je suis enfin prête, je fonce.
Mon idée d’écrire une lettre à mon amie m’est venue suite à ma lecture, mais encore fallait-il que je sache ce que je voulais écrire. Quand j’étais jeune, j’adorais écrire des lettres. C’est une passion que j’ai délaissée avec le temps, peut-être avec la venue des ordis et d’Internet. On a perdu l’art de s’envoyer des cartes postales, des lettres et des photos. Ou plutôt, cet art s’est transformé avec les réseaux sociaux et les cellulaires. On partage nos idées et nos vies autrement.
Les relations se sont aussi beaucoup transformées avec la pandémie. Le fait d’être confinées nous a obligés à vivre nos amitiés et nos amours d’une autre façon. Pour moi, ça m’a fait réaliser à quel point j’étais bien chez-moi. Avant la pandémie, je buissonais les événements, les ouvertures de restaurants, les célébrations, les tapis rouges. J’aimais faire partie d’une clique, peu importe comment, juste de savoir que j’appartenais à quelque chose de plus grand que moi. De savoir que j’avais une place au sein d’une communauté.
La pandémie m’a toutefois mis en lumière les faiblesses de cette communauté parfois tissée d’artifices, de doubles-jeux, de jetage de poudre aux yeux. J’ai découvert la faiblesse de certaines amitiés que j’avais, où je donnais tout ce que je pouvais, sans jamais recevoir en retour. Je me suis rendu compte que parmi la foule, j’étais plus souvent entourée de solitude que lorsque j’étais seule chez-moi. J’ai alors privilégié ce temps à l’intérieur. J’ai bâti un bonheur solide avec mon amoureux, dans mon nid douillet, loin des meurtrissures extérieures.
Aujourd’hui, je recommence à avoir envie de sortir, mais différemment. Je ne veux plus être perdue dans une foule, à animer des conversations futiles et superficielles, à me nourrir de petites bouchées qui ne feront que me laisser sur ma faim. J’ai envie de bienveillance, de franchise, de fous rires, de larmes timides… Du vrai. C’est de ça que j’ai envie : du vrai avec du vrai monde qui m’apprécie pour vrai.
J’ai envie de m’ouvrir à quelqu’un qui a envie de s’épanouir avec moi. De donner à quelqu’un qui saura l’apprécier parce que ça vient de moi, pas parce qu’on veut prendre.
Avec Passion MTL, je me suis prouvé que j’étais capable de bâtir une plateforme intéressante, un blogue populaire. J’ai posé les fondations de ce blogue, je l’ai élevé, j’ai bâti des contacts, et aujourd’hui, je l’ai laissé aller. Je n’avais plus envie de faire ça, je l’ai donné à ma meilleure collaboratrice qui, encore aujourd’hui, le fait rayonner.
Avec La Quarantenaire, j’ai eu envie de m’épanouir, de répondre à certaines questions que j’avais sur la féminité, sur la santé, sur la société… J’ai eu envie de partager mon parcours pour élever les autres femmes. J’ai eu envie de me recueillir plutôt que de me multiplier dans des événements. J’ai l’impression que ta quête est un peu la même, semblable, mais à ta façon. Tu as également laissé ton projet premier, pour te lancer dans l’inconnu, pour te retrouver, je pense, ou te trouver tout simplement. Est-ce que j’ai tort?
Nos vies sont différentes, mais ont quand même beaucoup de similitudes. Je pense qu’on a eu toutes les deux des enfances parfois magiques, parfois dramatiques. Nous sommes deux guerrières, couvertes de cicatrices, qui ont eu envie de laisser tomber les armes et les lourdes armures. Ma psychologue m’a déjà dit : » porter une armure, c’est lourd, c’est fatigant et c’est stressant. Donne-toi le droit de la déposer dans ton garde-robe et de sentir la légèreté. » Ça m’encourage quand je pense à ça, et je te fait part de cette image forte, car je pense que ça pourrait te ressembler aussi.
Bien sûr, dans mon raisonnement, je suis très subjective et je me fais des suppositions. Ma lettre, c’est pour apprendre à mieux te connaître, quitte à me faire reprendre. Parce que tu as le droit de me corriger, de m’aiguiller, de me remettre sur le bon chemin. C’est une force en amitié. Si je vais là où je me perds, ou si je vais là où je n’ai pas le droit d’aller, tu pourras gentiment me le faire savoir.
J’avais aussi envie de te dire que la vie est parfois injuste et cruelle, mais qu’elle vaut la peine d’être vécue. Je l’oublie parfois, mais aujourd’hui, j’ai plus de facilité à m’en souvenir. Je m’entoure de doux, d’indulgence et de légèreté. Je me donne le droit de me sentir mal, peinée, fâchée, mais ce que j’ai pu apprendre dans les dernières années, c’est que ces sentiments n’étaient pas vains, ou mauvais. Les émotions, c’est une opportunité d’apprendre sur soi et ses besoins. Tu vas rire, mais quand j’ai commencé à consulter une psy suite à mon « incident/accident », ça revenait souvent sur le sujet des besoins.
» Quel était le besoin qui devait être comblé quand tu t’es fâchée Stéphanie? « , me disait-elle.
…
…
…
J’aurais aimé voir mon visage les premières fois qu’elle me demandait ça. Quel besoin? Hein? C’est quoi un besoin? Je me suis fâchée parce que x, y, z…. « Oui, mais quel était ton besoin à ce moment précis? »
…
Bin oui, je n’avais aucune idée de ce dont j’avais besoin. OK, manger, boire, dormir, aller aux toilettes, ça, je le comprenais. Mais les besoins de sécurité, de tranquillité, d’affection, etc., ça, je n’y arrivais pas. À vrai dire, j’ai toujours de la difficulté à comprendre mes besoins émotifs. Ça vient de mon enfance, où tous mes besoins physiques étaient plus que comblés, mais que les émotions n’avaient pas de place. « Pourquoi tu pleurniches encore? », « Être fâchée, ce n’est pas beau », « Arrête de discuter »… J’ai appris très tôt à taire (ou plutôt essayer de taire) ces émotions, alors les comprendre, c’est une autre histoire.
J’ai non seulement de la difficulté à communiquer mes besoins, mais à parler de mes sentiments négatifs. Ça, c’est une autre histoire…
Bref, tout ça pour dire que j’avais envie de t’écrire. De te dire que j’admire ta démarche et le chemin que tu as parcouru depuis qu’on se connaît. De te dire que je pense souvent à toi, même si je ne le démontre pas beaucoup. J’avais envie de te parler, et de t’écouter. J’avais surtout envie de te demander : comment vas-tu? Prends-tu soin de toi?
Bisous,
Stéphanie
photo une : Álvaro Serrano
Un commentaire
Ping :